Publié le 14 avril 2013
par jean-paulmarthoz
Jean-Paul Marthoz
Jeudi prochain lors de sa session plénière mensuelle à Strasbourg, le Parlement européen va aborder en urgence la situation des droits de l’Homme au Vietnam et, en particulier, la liberté d’expression. Une résolution y sera discutée à l’initiative, en effet, de six groupes politiques, de la gauche social-démocrate à la droite populiste.
Ce pays du Sud-est asiatique connaît un durcissement politique qui passe largement inaperçu en dehors de ses frontières. Non seulement parce que l’attention de la presse internationale se porte essentiellement sur des pays asiatiques à plus « haute valeur informative ajoutée », comme la Birmanie, la Chine ou aujourd’hui, la Corée du Nord. Mais aussi parce que le Vietnam se présente comme un « tigre économique », qui s’ouvre aux échanges et aux investissements avec le reste du monde et qui, dès lors, fait figure de pays « engagé sur la bonne voie de la transition et de la modernité ».
Plusieurs rapports d’organisations internationales ont pourtant mis en exergue ces derniers mois le système répressif vietnamien. En septembre dernier, le Comité de protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, New York) a publié une étude intitulée, « La liberté de la presse au Vietnam se rétrécit, en dépit de l’ouverture de l’économie ».
Tous les médias d’information, rappelle ce rapport, sont sous le contrôle de l’Etat et les rédacteurs en chef sont obligatoirement membres du Parti communiste. Des fonctionnaires de la Propagande rencontrent régulièrement les hauts responsables des médias pour leur indiquer la ligne à suivre, les sujets à couvrir et ceux à bannir. Le système est bétonné et rien d’irrévérent ne filtre.
Des médias étrangers sous surveillance
La presse internationale est elle aussi placée sous haute surveillance. Tous les médias étrangers en poste au Vietnam sont obligés d’engager des assistants locaux, leurs visas ne sont octroyés que pour une période de six mois renouvelables et ils doivent demander l’autorisation du ministère des Affaires étrangères s’ils veulent effectuer un reportage en dehors de Hanoï. Quant aux envoyés spéciaux, ils doivent engager un « minder », un assistant approuvé par les autorités, au taux de 200 dollars par jour.
Les autorités se sont surtout attaquées ces derniers mois aux blogueurs indépendants – journalistes, dissidents ou activistes catholiques- , qui couvrent des sujets tabous, comme les conflits fonciers, les relations avec la Chine ou la corruption.
Pendant quelques années, la blogosphère avait été relativement épargnée par la censure et la répression. Mais cette tolérance a pris fin. « Depuis 2009, une campagne de harcèlement et d’intimidation a conduit à l’emprisonnement de dizaines de dissidents politiques, d’activistes religieux et de blogueurs indépendants, écrit Shawn Crispin, auteur du rapport du CPJ, pour la plupart en raison de leur plaidoyer en faveur d’une démocratie multipartite, des droits humains et d’une plus grande reddition de comptes de la part du gouvernement ».
Fin janvier, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme(FIDH, Paris) a confirmé ces faits dans un rapport publié conjointement avec le Comité Vietnam pour les Droits de l’Homme et intitulé Blogueurs et cyberdissidents derrière les barreaux : mainmise de l’Etat sur Internet
« Le Vietnam est connu pour son économie florissante et ses plages paradisiaques, écrit Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH (et docteure honoris causa de l’Université catholique de Louvain). La liberté d’expression y est bafouée dans l’indifférence de l’opinion internationale. Il s’agit pourtant de l’un des régimes les plus répressifs au monde en la matière. »
Un bilan sombre
« Au cours des 12 derniers mois, note ce rapport, 22 blogueurs et cyberdissidents ont été condamnés à un total de 133 ans de prison et 65 ans de détention préventive pour leur lutte non-violente sur le net. Le 9 janvier 2013, lors d’un même procès, 14 personnes ont été condamnées à un total de 100 ans d’emprisonnement pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression ».
Le Vietnam occupe la 172ème place (sur 179) au palmarès de la liberté de la presse, publié chaque année par Reporters sans frontières, qui le classe également parmi les 12 pays « ennemis d’Internet ».
Selon le décompte de Demdigest, à la mi-février, 32 blogueurs vietnamiens avaient été condamnés ou étaient en attente d’un jugement, la plupart aux termes de l’article 88 du code pénal qui sanctionne la « propagande antiétatique » et prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans. Parmi eux, Dieu Cay (pseudo de Nguyen Van Hay), auteur en 2007 d’un texte sur la démocratie et la liberté d’expression, incarcéré depuis 2008 et condamné en 2012 à 12 ans de prison, suivi de 5 années d’assignation à résidence. Ou encore l’avocat et blogueur Le Quoc Qan, arrêté en décembre dernier “pour fraude fiscale”.
Un enjeu progressiste
Jusqu’ici, la dénonciation des atteintes aux libertés a souvent été le fait d’organisations religieuses ou « de publications conservatrices américaine, le Wall Street Journal, le New York Post ou le New York Sun, notait Dustin Roasa, dans la revue new-yorkaise de centre-gauche, Dissent. Comme si les milieux libéraux et progressistes avaient du mal à critiquer un pays dévasté et profondément meurtri par les interventions française et américaine entre la fin de la Seconde guerre mondiale et la victoire nord-vietnamienne en 1975.
Cette réticence semble changer, cependant, et ceux qui, à gauche, plaident pour une approche critique du Vietnam, rappellent les débats difficiles des années 1970, après la chute de Saigon, et ceux qui avaient entouré le départ des boat people sud-vietnamiens.
« De quel droit critiquez-vous un pays que vous avez napalmisé ?», s’étaient exclamés des militants, lorsque la chanteuse pacifiste Joan Baez et Ginetta Sagan, célèbre résistante italienne active au sein d’Amnesty InternationalUSA, avaient condamné les camps de rééducation, la torture, dans le « Vietnam libéré ». « Pour être cohérent, avait répondu Joan Baez. La répression est la répression. Un passage à tabac a le même effet sur un être humain, qu’il soit commis par un socialiste ou un impérialiste ».
Très symboliquement, une des motions pour une Résolution au Parlement européen a été introduite par des membres du Groupe de la Gauche unie européenne/Gauche verte nordique. Formulée en des termes plutôt “modérés”, elle souligne toutefois les manquements du Vietnam et demande en particulier à l’Union européenne de faire de la liberté d’expression et des droits fondamentaux de l’Organisation internationale du travail “une partie essentielle” des discussions entre Bruxelles et Hanoï.
Même si le Groupe de la Gauche unie n’est plus signataire de la motion commune qui sera mise au vote ce jeudi, la “balle est en train de rouler”, comme le veut l’expression anglaise, et le Vietnam ne peut plus espérer échapper totalement au regard critique du monde.
Note: ce blog a été plusieurs fois actualisé au fil de l’évolution de la présentation de la Résolution. La motion commune a reçu l’appui du Parti Populaire Européen (PPE), des Socialistes et Démocrates (S&D), de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ADLE), des Verts/Alliance libre européenne, du groupe Conservateurs et réformistes européens (ECR) et du groupe Europe Libertés Démocratie.
Le groupe Gauche Unitaire européenne/Groupe Vert nordique avait aussi présenté une motion, mais il n’a pas signé cette motion commune.
Correction: Dans une version précédente de ce blog, à la suite d’une erreur d’éditing, nous avions présenté incorrectement et pendant un court moment cette motion comme la motion de base de la Résolution devant être soumise au vote.
Source: http://blog.lesoir.be/lalibertesinonrien/2013/04/14/la-liberte-dexpression-au-vietnam-sous-la-loupe-du-parlement-europeen/
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April 21, 2013
La liberté d’expression au Vietnam, sous la loupe du Parlement européen
by Defend the Defenders • Le Quoc Quan, Nguyen Van Hai (Dieu Cay)
Publié le 14 avril 2013
par jean-paulmarthoz
Jean-Paul Marthoz
Jeudi prochain lors de sa session plénière mensuelle à Strasbourg, le Parlement européen va aborder en urgence la situation des droits de l’Homme au Vietnam et, en particulier, la liberté d’expression. Une résolution y sera discutée à l’initiative, en effet, de six groupes politiques, de la gauche social-démocrate à la droite populiste.
Ce pays du Sud-est asiatique connaît un durcissement politique qui passe largement inaperçu en dehors de ses frontières. Non seulement parce que l’attention de la presse internationale se porte essentiellement sur des pays asiatiques à plus « haute valeur informative ajoutée », comme la Birmanie, la Chine ou aujourd’hui, la Corée du Nord. Mais aussi parce que le Vietnam se présente comme un « tigre économique », qui s’ouvre aux échanges et aux investissements avec le reste du monde et qui, dès lors, fait figure de pays « engagé sur la bonne voie de la transition et de la modernité ».
Plusieurs rapports d’organisations internationales ont pourtant mis en exergue ces derniers mois le système répressif vietnamien. En septembre dernier, le Comité de protection des journalistes (Committee to Protect Journalists, New York) a publié une étude intitulée, « La liberté de la presse au Vietnam se rétrécit, en dépit de l’ouverture de l’économie ».
Tous les médias d’information, rappelle ce rapport, sont sous le contrôle de l’Etat et les rédacteurs en chef sont obligatoirement membres du Parti communiste. Des fonctionnaires de la Propagande rencontrent régulièrement les hauts responsables des médias pour leur indiquer la ligne à suivre, les sujets à couvrir et ceux à bannir. Le système est bétonné et rien d’irrévérent ne filtre.
Des médias étrangers sous surveillance
La presse internationale est elle aussi placée sous haute surveillance. Tous les médias étrangers en poste au Vietnam sont obligés d’engager des assistants locaux, leurs visas ne sont octroyés que pour une période de six mois renouvelables et ils doivent demander l’autorisation du ministère des Affaires étrangères s’ils veulent effectuer un reportage en dehors de Hanoï. Quant aux envoyés spéciaux, ils doivent engager un « minder », un assistant approuvé par les autorités, au taux de 200 dollars par jour.
Les autorités se sont surtout attaquées ces derniers mois aux blogueurs indépendants – journalistes, dissidents ou activistes catholiques- , qui couvrent des sujets tabous, comme les conflits fonciers, les relations avec la Chine ou la corruption.
Pendant quelques années, la blogosphère avait été relativement épargnée par la censure et la répression. Mais cette tolérance a pris fin. « Depuis 2009, une campagne de harcèlement et d’intimidation a conduit à l’emprisonnement de dizaines de dissidents politiques, d’activistes religieux et de blogueurs indépendants, écrit Shawn Crispin, auteur du rapport du CPJ, pour la plupart en raison de leur plaidoyer en faveur d’une démocratie multipartite, des droits humains et d’une plus grande reddition de comptes de la part du gouvernement ».
Fin janvier, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme(FIDH, Paris) a confirmé ces faits dans un rapport publié conjointement avec le Comité Vietnam pour les Droits de l’Homme et intitulé Blogueurs et cyberdissidents derrière les barreaux : mainmise de l’Etat sur Internet
« Le Vietnam est connu pour son économie florissante et ses plages paradisiaques, écrit Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH (et docteure honoris causa de l’Université catholique de Louvain). La liberté d’expression y est bafouée dans l’indifférence de l’opinion internationale. Il s’agit pourtant de l’un des régimes les plus répressifs au monde en la matière. »
Un bilan sombre
« Au cours des 12 derniers mois, note ce rapport, 22 blogueurs et cyberdissidents ont été condamnés à un total de 133 ans de prison et 65 ans de détention préventive pour leur lutte non-violente sur le net. Le 9 janvier 2013, lors d’un même procès, 14 personnes ont été condamnées à un total de 100 ans d’emprisonnement pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression ».
Le Vietnam occupe la 172ème place (sur 179) au palmarès de la liberté de la presse, publié chaque année par Reporters sans frontières, qui le classe également parmi les 12 pays « ennemis d’Internet ».
Selon le décompte de Demdigest, à la mi-février, 32 blogueurs vietnamiens avaient été condamnés ou étaient en attente d’un jugement, la plupart aux termes de l’article 88 du code pénal qui sanctionne la « propagande antiétatique » et prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans. Parmi eux, Dieu Cay (pseudo de Nguyen Van Hay), auteur en 2007 d’un texte sur la démocratie et la liberté d’expression, incarcéré depuis 2008 et condamné en 2012 à 12 ans de prison, suivi de 5 années d’assignation à résidence. Ou encore l’avocat et blogueur Le Quoc Qan, arrêté en décembre dernier “pour fraude fiscale”.
Un enjeu progressiste
Jusqu’ici, la dénonciation des atteintes aux libertés a souvent été le fait d’organisations religieuses ou « de publications conservatrices américaine, le Wall Street Journal, le New York Post ou le New York Sun, notait Dustin Roasa, dans la revue new-yorkaise de centre-gauche, Dissent. Comme si les milieux libéraux et progressistes avaient du mal à critiquer un pays dévasté et profondément meurtri par les interventions française et américaine entre la fin de la Seconde guerre mondiale et la victoire nord-vietnamienne en 1975.
Cette réticence semble changer, cependant, et ceux qui, à gauche, plaident pour une approche critique du Vietnam, rappellent les débats difficiles des années 1970, après la chute de Saigon, et ceux qui avaient entouré le départ des boat people sud-vietnamiens.
« De quel droit critiquez-vous un pays que vous avez napalmisé ?», s’étaient exclamés des militants, lorsque la chanteuse pacifiste Joan Baez et Ginetta Sagan, célèbre résistante italienne active au sein d’Amnesty InternationalUSA, avaient condamné les camps de rééducation, la torture, dans le « Vietnam libéré ». « Pour être cohérent, avait répondu Joan Baez. La répression est la répression. Un passage à tabac a le même effet sur un être humain, qu’il soit commis par un socialiste ou un impérialiste ».
Très symboliquement, une des motions pour une Résolution au Parlement européen a été introduite par des membres du Groupe de la Gauche unie européenne/Gauche verte nordique. Formulée en des termes plutôt “modérés”, elle souligne toutefois les manquements du Vietnam et demande en particulier à l’Union européenne de faire de la liberté d’expression et des droits fondamentaux de l’Organisation internationale du travail “une partie essentielle” des discussions entre Bruxelles et Hanoï.
Même si le Groupe de la Gauche unie n’est plus signataire de la motion commune qui sera mise au vote ce jeudi, la “balle est en train de rouler”, comme le veut l’expression anglaise, et le Vietnam ne peut plus espérer échapper totalement au regard critique du monde.
Note: ce blog a été plusieurs fois actualisé au fil de l’évolution de la présentation de la Résolution. La motion commune a reçu l’appui du Parti Populaire Européen (PPE), des Socialistes et Démocrates (S&D), de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ADLE), des Verts/Alliance libre européenne, du groupe Conservateurs et réformistes européens (ECR) et du groupe Europe Libertés Démocratie.
Le groupe Gauche Unitaire européenne/Groupe Vert nordique avait aussi présenté une motion, mais il n’a pas signé cette motion commune.
Correction: Dans une version précédente de ce blog, à la suite d’une erreur d’éditing, nous avions présenté incorrectement et pendant un court moment cette motion comme la motion de base de la Résolution devant être soumise au vote.
Source: http://blog.lesoir.be/lalibertesinonrien/2013/04/14/la-liberte-dexpression-au-vietnam-sous-la-loupe-du-parlement-europeen/
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